Pour l’impétrant (personne qui
passe sa thèse), la soutenance est l’équivalent d’un énorme fourbi mythologique.
En effet, pour comprendre l’impétrant, il faut savoir que le jour de sa
soutenance est un savant mélange des mythes du supplice de Tantale, du tonneau
des Danaïdes et de l’épée de Damoclès avant une offrande sympathique au dieu
Bacchus.
Expliquons-nous plus clairement,
la soutenance de thèse est un rite initiatique tribal qui consiste à faire
souffrir un pauvre bougre, qui s’est dévoué corps et âmes à un seul et même
projet pendant plus de trois ans, de la manière la plus ignoble qui soit :
le rabaissement.
Prenez un cobaye (l’impétrant)
et placez-le devant le regard aiguisé d’une soixantaine de personnes venues
assister à une présentation préparée à tel point qu’elle n’en a plus rien de
spontanée. Ledit cobaye a entre 40min et 1h pour présenter 3 ans de sa vie et
expliquer avec plus ou moins de persuasion que ces trois années n’auront pas
été vaines et qu’il a fait avancer sa branche des sciences de façon
révolutionnaire avec la fois d’un convaincu.
L’audience se compose
principalement de : la famille et les amis du cobaye, qui n’a strictement
aucune idée de ce qui est dit et qui assiste à toute la cérémonie par fierté
puis pour les petits fours qui suivront ; les personnes du
laboratoire, qui maîtrisent plus ou moins le sujet mais qui ne sont là que pour
voir s’ils apparaissent ou non au moment du générique de fin (j’ai nommé les
remerciements) ; les membres de l’équipe de recherche, qui assiste aux
tortures que l’on inflige au cobaye en comprenant les tenants et les
aboutissants de l’histoire ; et en dernier mais pas des moindres le
peloton d’exécution composé du directeur de thèse et des membres du jury choisi
dans un dernier acte masochiste par le cobaye lui-même, maîtrisant le sujet
puisqu’ils ont épluchés le manuscrit (un autre supplice dont nous parlerons
ultérieurement) leur but est de démontrer par A+B au cobaye que (i) il n’a rien
glandé pendant 3 ans, (ii) il ne maîtrise pas son sujet et (iii) la révolution
qu’il croyait avoir opéré est ailleurs (un peu comme la vérité d’ailleurs).
Après l’exposé d’environ 40 min
se soldant par les remerciements plus ou moins bref en fonction du thésard. Le
remerciement de la machine à café ne m’aura guère pris trop de temps (oui, j'éxagère, j'avais plus de monde que ça à remercier). Commence
le véritable supplice à savoir le jeu des questions/réponses.
Les bourreaux rabattent leurs
masquent, lèvent leurs haches et se préparent pour l’exécution. Il y a plusieurs types
de bourreaux :
-
celui
qui maîtrise le sujet et fait preuve d’une connaissance générale ardue si bien
qu’il peut vous coincez bien plus vite que vous ne l’aviez prévu. Ce bourreau-là
est fourbe, il vous tend un verre d’eau pour le retirer au
moment où vous allez l’attraper vous laissant assoiffé (merci de repérer ici l’image
du supplice de Tantale)
-
celui
dont l’ignorance sur votre sujet est sans fond (le tonneau des Danaïdes) et qui pose ainsi des questions plus à
côté de la plaque les unes que les autres et qui peut alors s’avérer très dangereux,
envisageant de sa subtile naïveté des choses pas idiotes du tout auquel vous n’auriez
jamais pensé
-
celui
qui maîtrise le sujet mieux que vous et qui est capable de vous planter sur le
moindre petit détail jusqu’à l’échelle de microscopie utilisé à la page 97 de
votre manuscrit et dont bien entendu vous ne vous souvenez absolument pas. Ce
bourreau est un danger constant qui peut vous tomber dessus à tout moment (l’épée de Damoclès)
-
enfin
il y a le bourreau sympa qui considère qu’après deux heures de discussion il
est temps pour le peloton d’exécution de déterminer votre sentence. Ce
bourreau-là est en réalité un fervent de Bacchus qui songe déjà au vin et aux
petits fours qu’il pourra ingérer à la célébration finale.
Juste avant la fin du supplice, la parole est donnée au directeur de thèse qui garde le dernier mot. Il dit alors tout le bien (ou pas) qu’il pense de vous (ou pas). Même si ce dernier acte est très politique, on sent par moment un vent de sincérité qui fait plaisir lorsque ça fait 3 ans et demi que l’on cherche une reconnaissance rarement admise.
Après le supplice sacrificiel d’un
peu plus de deux heures que sont les questions réponses, le jury se retire donc
pour délibérer. Il leur faut environ 15 minutes qui vous paraissent une éternité
tellement vous êtes épuisée par les 3h de tortures mentales que l’on vient de
vous faire subir. Les bourreaux reviennent, les nouvelles sont bonnes puisqu’ils
ont décidé de vous laisser la vie sauve contre un pot de vin (en place et lieu
du pot de thèse) composé de quelques faveurs gastronomiques.
C’est à ce moment-là que s’achève
une aventure qui avec le recul vous aura appris beaucoup et vous aura fait
grandir, dont vous garderez de bons souvenirs (il est impressionnant de voir l’aisance
avec laquelle on peut oublier les mauvais moments). Le supplice du jour de la
soutenance restera lui graver au fer blanc un long moment mais il vous
apprendra à gérer plus facilement une situation de stress et à vous auto-persuader
que si vous avez réussi ça, vous êtes capable de bien plus.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire